La triste fin de l’atelier Nadar

Le 15 juin 2014, le toit d’un bâtiment s’effondre quelque part dans un cœur d’îlot de la Canebière. L’immeuble sur l’avenue n’a pas été touché ; en revanche, il ne reste plus rien derrière… Il s’agissait d’un bâtiment protégé au titre des Monuments Historiques, mais sa destruction n’a pas marqué les esprits. Et pourtant ! il s’agissait du plus vieil atelier de photographie de France connu à ce jour, peut-être même d’Europe : celui de Nadar.

Félix Nadar est un artiste polyvalent, né à Paris en 1820 et mort en 1910. Caricaturiste, écrivain, aéronaute… il est surtout connu pour avoir été un des précurseurs d’une toute nouvelle forme d’art : la photographie. Il est le portraitiste le plus en vogue à son époque, explorant les nouvelles pistes que permet cette nouvelle technologie. Il expérimente d’autres techniques, comme la photostérie, qui permet d’obtenir une image en relief, approchant la photographie de la sculpture. Il sera même un des tout premiers à s’essayer à la photographie sous-marine grâce à un caisson étanche, alors qu’on construit les bassins du Cap Pinède.

Parmi ses modèles, on peut citer Charles Baudelaire, Sarah Bernhardt, Gustave Courbet, Guy de Maupassant… la liste est longue ! Il est même un des premiers photographes à pratiquer l’autoportrait. Une de ses photos fait sûrement partie des plus connues en France : celle d’un vieux Victor Hugo, la tête posée posée sa main droite.

Portrait de Victor Hugo par Félix Nadar
Portrait de Victor Hugo par Félix Nadar

Le passage de Nadar à Maseille est relativement bref. L’artiste a toujours vécu à Paris ou dans sa région natale. En 1894, l’artiste est ruiné, il se brouille avec son fils Paul, et sa carrière est stoppée. Il décide alors de changer de vie et déménage dans le midi avec sa femme, malade. En route d’abord pour Nice, il décide en cours de route de s’installer à Marseille, où il fonde un nouvel atelier photographique, au 21 rue Noailles, aujourd’hui renuméroté 77 La Canebière. Il s’agit de son quatrième et dernier studio photographique.

La situation de l’atelier n’est pas anodine. En face de lui se dressent le Grand Hôtel de Marseille, l’Hôtel de Noailles et, plus loin, l’Hôtel du Louvre et de la Paix. Les Nouvelles Galeries seront bientôt inaugurées sur la parcelle voisine du studio. Enfin, il faut rappeler que la Société de photographie de Marseille était située à quelques mètres de là. Nadar organise bientôt des rendez-vous littéraires dans son atelier. C’est ainsi qu’il se lit d’amitié notamment avec le célèbre écrivain Frédéric Mistral, mais aussi avec les frères Lumière, qui organisent des projections non loin de là. Mais Nadar ne reste que dix ans à Marseille : il retourne à Paris en 1904, et y décède en 1910.

L’atelier restera en l’état lors du départ de l’artiste. L’immeuble, datant du XVIIIème siècle, es situé en fond de cour. Lorsqu’il s’installe, Nadar fait faire d’importants travaux pour y aménager son studio de prises de vues. Il fait construire une verrière en 100m² pour lui permettre de photographier en lumière naturelle. En-dessous, éclairé en second jour par des pavés de verre dans le plancher, il installe ses archives et la salle de retouche et, au rez-de-chaussée, le laboratoire. Dans le studio en lui-même, deux petites cabines en bois étaient aménagées, l’une pour l’habillage et le maquillage, l’autre pour examiner les clichés.

Les travaux ne modifient que très peu l’immeuble sur la rue : il aménage le rez-de-chaussée en boutique, où il installe l’enseigne réalisée par Antoine Lumière, et habite dans les étages avec sa femme. C’est ici, au premier étage, que les personnalités qui venaient se faire photographier étaient invitées à attendre, dans un petit salon nommé « salon de jonc », probablement à cause de sa décoration.

En quittant Marseille, Nadar vend son atelier à un de ses disciples, Fernand Detaille. Ce dernier et les deux générations de Detaille suivantes continueront d’utiliser les locaux jusqu’en 1987. C’est sûrement grâce à cette continuité de l’utilisation des locaux que l’héritage de Nadar a pu perdurer jusqu’en 2014.

L’effondrement de la toiture a malheureusement tout emporté. C’est vraiment regrettable ! Les lieux avaient pourtant gardé leur configuration de l’époque, mais la désaffection des locaux pendant près de 30 ans a eu raison de leur prestige.

Quant au matériel de Nadar, par chance, il fut d’abord légué à la famille Detaille, qui l’a ensuite offert à l’ancien Musée du Vieux-Marseille. Certains décors du studio, et même l’enseigne historique ont été préservés. Il appartient désormais au Musée de l’Histoire de Marseille. On peut d’ailleurs y contempler certains appareils de l’artiste. Maigre lot de consolation…

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